Soixante-cinq / Prix de la Nouvelle Erotique 2019



Texte écrit dans le cadre du Prix de la Nouvelle Erotique 2019, sous triple contrainte :
- contrainte de temps : le thème est donné à 23:59 la nuit du passage à l'heure d'hiver, la nouvelle doit être écrite dans la nuit et envoyée à 7H00
- contrainte de thème : "one mort time", débrouillez-vous avec ça...
- contrainte de mot final : la nouvelle doit se terminer par le mot "entonnoir"  


Lundi 13 août, 4 heures 22
Nathalie s’éveille en sursaut, les larmes coulant sur ses joues.
Encore ce cauchemar.
Les battements de son cœur ralentissent tandis que son esprit s’apaise.
Quel soulagement de se réveiller ces matins-là…
Parfois les rêves se devinent comme tels, dans son sommeil elle en perçoit confusément l’irréalité et attend le réveil, mais celui-ci était atrocement réaliste.
Elle se tourne vers Pierre, se love contre son dos pour se rassurer et se réchauffer. Il grogne, mais elle sait combien il aime ça. Il leur reste quelques instants de paix avant le bulletin météo.
Elle sait comment en profiter, laver son esprit  et commencer la journée du bon pied.
De tout temps le sexe a été son refuge anti-stress, son anti-dépresseur, son cocktail énergisant, et Pierre partage ce sentiment.
Sa main glisse sur le corps de son amoureux, ses épaules solides, ses bras massifs, sa poitrine aux poils si doux sous la paume de sa main. Comme elle, il dort toujours nu, été comme hiver. Un des secrets de leur couple, dit-elle volontiers à ses amies : comment avoir envie d’un homme en pyjama de pilou ?
Cette proximité de leurs peaux favorise leur libido, elle en est persuadée. Et maintenant que les enfants sont grands, plus besoin d’enfiler un peignoir à la va-vite pour courir consoler un cauchemar.

Ce cauchemar…
Encore une fois.
Vite l’oublier.
Vite se laver la mémoire.
Ne pas se lever avec ces images en tête.

Pierre ronronne sous la caresse, il aime qu’elle le réveille ainsi, parfois c’est lui qui la prend au petit matin et elle adore ça aussi, il est doux, caresse ses seins et ses lèvres, embrasse sa nuque, caresse sa fente en collant son érection contre ses fesses… Elle ne bouge pas, à peine une légère ondulation réflexe et hypnotique du bassin, elle reste à la lisière de l’éveil. Elle sent son sexe s’ouvrir sous les doigts de son homme, savoure les tressaillements du plaisir qui monte et puis la sensation  de sa queue qui la pénètre doucement, par derrière, en cuillère.
Ce sont rarement ses meilleurs orgasmes, c’est trop doux pour la faire jouir avec la puissance habituelle, mais c’est toujours ça de pris.

Cependant ce matin elle est pleinement réveillée et ce n’est pas de douceur dont elle a besoin. Elle précise ses gestes, enserre la queue déjà à demi dressée, il réagit vite, elle sourit à ce constat. Elle se glisse devant lui pour la prendre dans sa bouche, elle la sent s’épanouir et durcir instantanément sur sa langue, elle adore cette sensation d’un animal qui s’éveille et frémit pour la remplir, elle adore la goutte de lubrifiant qui perle au bout de son gland, son goût et son odeur, Dieu qu’elle aime le sucer, sentir l’effet qu’elle lui fait, elle se sent toute puissante quand elle le tient ainsi sur le bout de sa langue. Il est réveillé maintenant et lui sourit, elle remonte jusqu’à son visage pour l’embrasser, tant pis pour l’haleine aigre du matin, elle a encore le goût de sa bite dans la bouche, ça compense. Il bascule sur le dos, ses yeux brillent dans la lueur de l’aube naissante quand elle s’installe au dessus de lui. Ce matin c’est elle qui pilote, elle use de lui comme elle le ferait d’un sex-toy, utilise sa queue pour caresser ses lèvres et son clitoris, cette caresse la rend dingue, la souplesse et la douceur de cet instrument valent tous les silicones, et la paume de ses mains sur la pointe de ses seins alliée à la sensation de son gland sur son sexe palpitant la renversent et la font partir, elle tremble et coule au dessus de lui. Elle n’attend pas la fin de la vague pour descendre s’empaler sur sa queue dans un râle de plénitude, la déflagration se poursuit, ses ondes se multiplient à l’infini tandis qu’il a saisi ses hanches. Il reprend les commandes et imprime son rythme pour la remplir et la quitter, elle ondule sur lui et creuse ses reins pour adapter l’angle, pour qu’il tape là, juste là, il accélère la cadence, elle voit monter le plaisir dans son regard,  puis il ralentit, s’immobilise, et elle meurt avec lui, ses yeux dans les siens avant de s’abattre sur sa poitrine.

« Et bien, dit-il… quelle énergie dès le matin ! On va pouvoir dépoter toute la matinée après un tel réveil »
Nathalie ne lui parle pas de son rêve.
Elle ne lui en a jamais parlé depuis que ça a commencé. Ça n’est qu’un rêve, une façon pour son inconscient de libérer cette angoisse partagée par tous les éleveurs de la région ces temps-ci.

Quand elle descend après sa douche Pierre a fait le café, qu’ils prennent en silence. Après leur communion charnelle, les voilà plongés dans leurs pensées, programmant leur journée. Ils la commencent ensemble en allant chercher les vaches au pré pour les mener à la salle de traite, puis après la traite chacun vaque aux occupations programmées. Elle doit encore tenter de rappeler le labo pour savoir quand les vaccins seront enfin disponibles, voire tenter de monter plus haut… Mais qui appeler un 13 Août ? Le fabricant est fermé, les distributeurs en rupture, et les services vétérinaires aux abonnés absents pour cause de congés payés.
Pierre et Nathalie, leurs congés, c’est eux qui les payent : le salaire des deux remplaçants qui doivent prendre le relais auprès des bêtes. Une vache laitière, ça se trait tous les jours, pas moyen de la fermer pour les vacances. Ils sont partis en juin, c’est moins cher, une semaine, pas bien loin, mais une semaine de break, ça fait quand même du bien et puis la mer, ça les change d’air.
« Un sou pour tes pensées ? » demande Pierre
Elle sourit, s’ébroue, se lève : allez, on y va.
Encore une fois.

Ils s’en plaignent parfois, de cette routine immuable, et leurs voisins aussi. L’élevage, les laitières en particulier, c’est un rythme, une cadence, calée sur le tempo des bêtes et la course du soleil. Mais c’est un rythme naturel, celui de la vie. Tellement plus justifié que les horaires de bureau et de RER.
Et puis voilà, ils font ce qu’ils aiment, leur patron c’est eux, le Bio et le circuit court leur garantissent des prix stables, ils n’ont rien de trop mais franchement quand ils voient tous ces agriculteurs qui crèvent à petit feu, mais aussi les citadins qui courent du matin au soir sans voir la lumière du jour, ils se disent qu’ils ne sont pas les plus malheureux.
Et puis ils sont deux, ils se tiennent les coudes, ils partagent la même passion, c’est précieux aussi.

   
Mardi 14 Août, 4 heures 22
Il peut suffire de quelques heures pour changer le cours de votre vie.
Cette nuit Nathalie n’a pas rêvé. Pas de cauchemar.
Pas besoin : il s’est réalisé.

La veille en arrivant au pré ils ont tout de suite repéré Capucine couchée dans l’herbe. Primevère aussi, et Joliette et Mona. Quatre d’un coup, paf. Pas encore d’hémorragie, mais le gonflement abdominal est suffisamment prononcé pour ôter toute place au doute.
Nathalie l’a étudiée sous toutes ses coutures, cette saloperie, depuis que les premiers cas isolés ont été signalés dans les Hautes-Alpes.
Ils espéraient que ça ne descende pas jusque chez eux, grâce aux mesures de vaccination et de quarantaine.

Anthrax, dite aussi Fièvre charbonneuse. Provoque la mort en 24 heures par hémorragie des voies naturelles.

Ils ont du faire euthanasier dans la journée les quatre vaches touchées, en urgence. Quant aux autres, pas moyen de les vacciner. La pénurie de vaccin est nationale…

Sylvie, la vétérinaire qui a euthanasié les bêtes était effondrée. Deux semaines qu’elle harcèle tout ce qu’elle peut en haut lieu pour réclamer des vaccinations préventives, au besoin en important des lots Suisses ou Allemands.
Silence radio. Pas de son, pas d’image. Elle a même rameuté la presse, La Montagne a fait un papier, personne d’autre n’a bronché.
C’est le mois d’août, vous comprenez…

Les services vétérinaires départementaux et nationaux ont fini par se réveiller, rentrés de vacances en urgence, maintenant qu’il est trop tard. Parce que Nathalie et Pierre ne sont pas les seuls. Tout l’Est de la région est touché, c’est ce que le Référent National a dit à Pierre au téléphone. La bonne nouvelle c’est que le vaccin pour les humains, lui, est disponible.

Abattage systématique ordonné. Toutes les bêtes, toutes les exploitations du quart Nord-Est, infectées ou non.
Pas de discussion. Pas le temps d’entamer des négociations diplomatiques avec la Suisse ou l’Allemagne qui veulent garder leurs lots pour eux où ça commence à se propager.
On abat, ordre du Ministère. D’après les autorités sanitaires, les assurances couvriront les pertes…
Nathalie demande à voir.

61 vaches à abattre. Des bêtes qu’ils connaissent par leur nom, certaines qu’ils ont vu naître, nourries au biberon…
Les camions arrivent tout à l’heure après la première traite, direction l’abattoir.
Circulez, y a rien à voir. 

Elle se colle contre Pierre, mais ce matin le cœur n’y est pas, pas cette fois.


Mardi 14 Août – 19 heures 30
Le labo doit toujours présenter un état d’hygiène irréprochable, c’est là qu’on fabrique le beurre et qu’on embouteille le lait pour la vente directe.
Ce soir il est immaculé, on mangerait par terre, comme dit la mère de Nathalie, que l’expression exaspère.
Pierre et Natalie ont jeté dans le nettoyage et la désinfection de la ferme toute l’énergie de leur colère et de leur amertume. Toute la journée ils ont travaillé comme des brutes, en silence, pour tenter d’oublier les images et les sons des vaches montant dans le camion, meuglant leur inquiétude devant cette rupture de leur routine. Dans leurs grands yeux liquides Nathalie croyait voir un reproche muet, douloureusement surpris de leur trahison.
Exactement comme dans son cauchemar.

S’ils faisaient de la vache laitière et pas de la race à viande, c’étaient pour garder leur bêtes, faire du vivant, pas nourrir et soigner des vaches pour les mener à l’abattoir.
D’ailleurs ils n’étaient pas loin de virer végétariens…
Envoyer leurs vaches à la mort, c’est ce qui pouvait leur arriver de pire.

Nathalie enlève ses gants et s’adosse à la paillasse au carrelage étincelant. Elle a sorti le matériel de nourrissage des veaux, qu’il faudra remplacer.
« Regarde Pierre, l’entonnoir de Capucine ! Tu te souviens comme on avait du mal à la nourrir ? Elle refusait la tétine en caoutchouc, je lui versais le lait à la cuiller dans cet entonnoir qu’elle tétait comme une malade, ça durait des heures, ça me rendait dingue… »
 
Ses yeux brillent de larmes, ses cheveux frisés sont en pétard autour de son visage bronzé par le travail au grand air, sa combinaison de travail est ouverte sur ses seins généreux et ses taches de rousseur…
Elle est sublime, pense Pierre comme chaque fois qu’il prend le temps de la regarder.
Il s’approche d’elle et s’appuie de tout son poids contre son corps ferme et plein, refermant ses bras autour d’elle. Elle sourit entre ses larmes, constatant son érection. « Et bien je vois qu’on se laisse pas abattre pour si peu », dit-elle tandis qu’il se penche sur elle pour l’embrasser. Son baiser est impérieux, vorace, il tient sa tête entre ses grandes mains et prend possession de sa bouche, la  pénètre de sa langue, comme s’il la baisait. Son genou se glisse entre ses cuisses et les écarte, elle avance son bassin contre le sien, de ses mains toujours appuyées derrière elle, elle pousse son corps en avant comme pour entrer en lui elle aussi.
Pierre ouvre la fermeture éclair de sa combinaison pour attraper ses seins, il en flatte les pointes érigées avec sa paume, les tire, les pince entre ses doigts, les suce et les mord comme un carnivore dévore sa ration. Il grogne comme un animal, et Nathalie se liquéfie sous la caresse et devant ce désir furieux, cette pulsion de vie qui veut combattre la mort qu’ils ont dû donner. En quelques gestes impatients elle se débarrasse de ses bottes et de sa combinaison, la culotte suit le même chemin, la cyprine coule déjà le long de sa cuisse et Pierre se jette à genoux pour en lécher la trajectoire, puis sa langue remonte et vient en goûter la source à sa chatte trempée d’envie.

Il la hisse sur la paillasse, le carrelage est froid sous son cul, quand elle lui signale, il répond qu’il lui faut bien ça pour éteindre son cul brûlant, et puis il se reprend « non, jamais, qu’il ne refroidisse jamais ce cul brûlant que j’adore », elle rit, de ce rire de gorge qu’elle prend quand elle a envie de lui. Il fait à son tour valser bottes,  combinaison, caleçon, et frotte sa queue tendue et luisante contre ses lèvres et son bouton, de son autre main il caresse son cul dans lequel il rentre un doigt. Elle sursaute, tremble, contracte tout son corps et s’accroche à ses épaules en hurlant, ça marche à tous les coups, elle gicle par saccades, inondant le carrelage, elle se cambre et elle s’ouvre, elle le veut, putain elle le veut, et maintenant !
Cette pulsion de vie, elle la partage aussi, elle veut qu’il la baise, elle veut qu’ils jouissent ensemble justement ce soir, encore et encore, encore une fois pour conjurer la mort.
Elle ne veut pas pleurer sur un vieil entonnoir.

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