L'Etoile du Berger - Conte de Noël érotico-politique



Leah n’arrivera pas à s’endormir, elle le sait.
Trop de données à analyser, son cerveau bouillonne, occupé à brasser émotions et informations.
L’étoile est là, pile dans son champ de vision, elle brille tant qu’elle semble clignoter.
Dessous, l’étable, encore envahie d’une foule immense, venue d’on ne sait où, informée on ne sait comment, se pressant pour mieux voir, priant, chantant, murmurant…
Une étable !

Comment imaginer que Dieu, qu’elle avait toujours envisagé plus sévère encore que son propre père, prompt à exiger, punir, venger, ait choisi une misérable étable pour présenter son fils à la face du monde ? Ce même Dieu qui avait exigé qu’Abraham lui sacrifiât le sien ? Cette histoire, que lui racontait son père pour tenter de lui apprendre, l’obéissance, l’avait toujours profondément révoltée. Quel Dieu digne de ce nom demanderait un tel geste ? Qui peut croire cela, et obéir à un ordre aussi absurde que tuer son propre fils ?
Elle avait été sévèrement battue pour avoir osé exprimer ce qu’elle pensait de cette histoire. Cela non plus elle ne le comprenait pas. Battre ses enfants jusqu’au sang, exiger d’eux qu’ils se sacrifient aux intérêts supérieurs de la famille, attendre d’eux non l’amour mais la crainte et l’obéissance, est-ce pour cela qu’on les met au monde ?
Son père voulait la soumettre. La faire rentrer dans le rang. Lui faire baisser les yeux.
Et surtout lui faire épouser cet affreux Jacob, contrefait et méchant, qui avait tué sa femme à force de la battre et de lui faire des enfants tous les ans ! Son père ne voulait pas tant Jacob que son or et ses moutons.

Ce bébé emmailloté dans de pauvres linges, reposant dans la paille, au milieu du bétail, serait donc le sauveur du Monde envoyé par Dieu ?
Il parait bien frêle pour une si lourde tâche.  
Qui sait ce que son divin père exigera de lui, mais pour l’heure ce n’est qu’un enfant, né dans une famille pauvre, au milieu des pauvres. Ce choix est déjà surprenant en soi, se dit Leah en pensant aux richesses ornant les temples, au confort dans lequel vivent les Prêtres, toujours issus des familles les plus riches. Il leur est facile, à eux, de prôner l’obéissance et la soumission : à qui obéissent-ils donc, eux, sinon un Dieu dont ils interprètent les ordres à loisir ?
Quoi qu’il en soit « l’Elu » est un garçon : il lui sera épargné la domination la plus injustifiée qui soit, celle des hommes sur les femmes, celle que même les hommes les plus pauvres exercent sur leurs femmes, leurs filles, leurs sœurs et même leurs mères. Les femmes se vengent sur les rares êtres encore plus inféodés qu’elles : leurs filles et leurs servantes. On n’en sort pas.

Pour échapper à son père et à ce mariage Leah n’a eu d’autre choix que de s’enfuir, avec une partie des moutons de Jacob. C’était son dû, pensait-elle : son père voulait la vendre pour des moutons, Jacob avait obtenu d’elle en la forçant ce que seul le mariage était censé lui donner, et son père en l’apprenant n’avait eu d’autre réaction que d’avancer le mariage… Ces moutons étaient à elle.
 
Mais pour survivre seule, elle a dû cacher son état de fille et se travestir en garçon : une bergère traversant seule avec ses moutons les plaines de Judée aurait fait une proie bien trop facile, voire légitime : une femme seule n’est pas une femme respectable, n’importe qui peut en user, personne ne l’en blâmera.
Non pas que les femmes dites respectables soient elles-même à l’abri, d’ailleurs, elle en a fait l’amère expérience. Cette configuration des femmes, cette ouverture au creux de leurs jambes les rend tellement vulnérables, à la merci de n’importe quel homme plus fort qu’elles.

Son corps élancé et androgyne, sa mâchoire volontaire et sa voix grave lui ont permis de passer aisément pour un homme une fois ses cheveux raccourcis au ciseau à laine. Certes ses traits réguliers et ses joues imberbes font d’elle un homme séduisant, elle le voit bien dans le regard des femmes qu’elle croise au puits, ou même dans celui de certains bergers lorsqu’elle rejoint une nouvelle caravane, mais personne n’a semblé jusque-là deviner son véritable état.

Elle sait que certains hommes s’aiment entre eux. Elle l’a découvert un jour au village, en épiant un voisin avec un autre homme. Elle a alors appris que cet autre orifice, qu’elle n’imaginait pas propice à cet usage, permettait aux hommes de connaître eux aussi la pénétration et d'en éprouver du plaisir, à sa grande surprise. 
Les bribes de confidences entre femmes saisies à la volée lui avaient fait croire que l’homme seul prenait du plaisir, les femmes se soumettant à cette activité par devoir. Elle pensait le plaisir réservé au seul pénétrant et l’avait expérimenté à ses dépens avec Jacob.
On pouvait donc ressentir du plaisir à se faire pénétrer !

Cette connaissance l’avait emplie de joie et d’espoir, elle dont la seule expérience avec l’affreux Jacob, au sexe rouge et pointu comme celui d’un chien, n’avait été que douleur, peur, et dégoût face à sa propre impuissance. 
 
Pourtant avant Jacob elle avait connu le plaisir, celui provoqué par ses doigts au cours de ses explorations de cette zone dont on lui avait tant interdit de la regarder et de la toucher que sa curiosité en avait été éveillée. Qu’y avait-il donc là de si précieux pour que ce soit si interdit ?
En découvrant la clé du mystère (elle avait eu bien du mal à étouffer ses gémissements de plaisir quand il avait déferlé sur elle après qu’elle eut trouvé le bon geste et la bonne cadence) elle s’était une fois encore révoltée contre cet interdit : comment, pourquoi, interdire quelque chose d’aussi incroyablement satisfaisant, qui ne coûtait rien, était si facile à obtenir, toujours disponible et ne faisait de mal à personne ? Mais elle avait eu le bon sens de garder ça pour elle, soucieuse de s’épargner une des nombreuses corrections que lui valaient sa curiosité et sa franche candeur.  
Cependant la pénétration avec ses doigts n’avait jamais pu lui faire découvrir un plaisir aussi fort que celui que déclenchait cette incroyable excroissance qui avait le pouvoir se transformer, se gonfler, se dilater sous ses doigts, tandis qu’elle sentait sa fente s’ouvrir et s’épanouir en produisant une étrange substance qui paraissait faite pour permettre à ses doigts de mieux glisser à l’intérieur. Même si ce geste-là était moins efficace, elle en ressentait toujours le besoin impérieux, comme induit par le plaisir auparavant ressenti. Et malgré la déception renouvelée de ne rien obtenir de mieux, elle s’était dit que peut-être l’attribut si étonnant que les hommes portent entre leurs jambes pourrait réussir là où ses doigts échouaient.

Elle avait eu l’occasion de découvrir ce bizarre appendice et d’en apprécier le pouvoir de transformation avec son cousin Joseph quelques années auparavant. Ils étaient très complices et leurs parents les laissaient courir la campagne tant qu’ils voulaient. Un jour qu’ils luttaient pour rire dans l’herbe elle avait constaté une bosse pointant sous le vêtement de son cousin, et l’avait supplié de lui dévoiler ce phénomène. Il lui avait alors montré comment il le manipulait pour en obtenir un plaisir qui s’était manifesté par un jet de liquide épais d’un blanc nacré.
Mais il n’avait pas voulu la laisser toucher ni l’objet ni le liquide, et avait coupé court quand elle avait voulu lui raconter ce qu’elle-même venait de découvrir sur cette partie de son corps. « Pour une fille, c’est péché », avait-il déclaré, gêné et péremptoire. Elle n’avait plus eu l’occasion de le voir ou de le questionner par la suite car dès l’instant où le sang avait commencé à couler entre ses jambes, peu de temps après, leur liberté avait pris fin. Celle de Leah surtout, qui avait été soumise à une surveillance rapprochée de la part de sa mère, de ses frères et même de ce traître de Joseph.
Elle était désormais une femme, détenant visiblement entre les jambes un trésor à protéger à tout prix.
Ou bien à échanger contre des moutons, songea-t-elle amèrement après que Jacob l’eut forcée debout au milieu de ces mêmes moutons, plusieurs mois avant la date arrêtée pour le mariage. Avait-il deviné dans ses constants regards de défi qu’elle lui échapperait, qu’elle éviterait ce mariage, avait-il saisi l’occasion sachant qu’elle ne se reproduirait pas ? Son visage était fermé, sa mâchoire serrée tandis qu’il fourrageait rageusement sous sa jupe pour écarter ses cuisses, elle avait tenté de croiser son regard, de le raisonner, de l’endormir en prônant la patience, en lui promettant qu’elle se donnerait à lui dès le soir du mariage, qu’il ferait d’elle ce qu’il voudrait. Elle aurait promis n’importe quoi, son cerveau tournait à toute vitesse, cherchant une échappatoire, mais la main noueuse et musclée du berger tenait ses poignets comme dans un étau. Elle cessa de lutter, le laissa la retourner et incliner son buste sur la paille, et regarda le ciel par l’imposte de la bergerie tandis qu’il forçait le passage entre ses jambes. Sans l’effet produit par les caresses qu’elle seule savait se prodiguer, elle sentait son intérieur sec et fermé, et la peur et la colère le verrouillaient davantage encore. Elle serra les dents de toutes ses forces pour ne pas crier sous la douleur, et compta lentement jusqu’à sa délivrance.
Jamais compte ne lui avait paru si long.
Il s’était essuyé sur sa jupe et était parti sans un mot.

Elle s’était enfuie quelques jours après, quand il fut clair que personne ne lèverait le petit doigt pour la délivrer de ce mariage désormais indispensable à l’honneur de sa famille.
L’honneur, cette notion barbare, raison de toutes les oppressions et si souvent logé entre les jambes d’une femme.  

Ce monde n’est décidément pas une place pour les femmes, songe Leah, et l’Elu y changera-t-il quelque chose ? Elle en doute : si Dieu avait voulu changer cet état de fait, il aurait envoyé sa fille et non son fils. Voilà qui aurait été intéressant.
Pauvre et femme, ça commencerait à ouvrir le débat.

Elle se lève pour prendre l’air, résignée à ce que le sommeil la fuie jusqu’à l’aube, qui commence à poindre derrière les montagnes.
L’air est vif et frais, plein des promesses d’un nouveau jour.
D’une nouvelle ère, ouverte par cette naissance ?
Elle a quand même envie d’y croire, envie d’un peu d’espoir.
 
Elle avait suivi les bergers transmettant la nouvelle, quelques jours auparavant (certains disaient qu’un ange leur avait annoncée… tout est bon pour se faire valoir), intriguée par ce mouvement, cette curiosité, l’espoir même que cette annonce semblait mettre dans le cœur des gens.
Le fait que les bergers soient les premiers informés l’avait interpelée : un message de Dieu transmis ni par un Prophète ni par un Prêtre dans les ors d’un temple mais par de simples bergers au milieu de nulle part, voilà qui valait peut-être le détour.

Et puis cette fichue étoile brillait vraiment fort.

Alors la voilà, aux limites de Bethléem, près de cette étable et de cet enfant entouré de ses parents si simples, si normaux, l’air un peu ahuri de ce qui leur arrive. 

Pour être honnête, elle a surtout suivi le mouvement à cause de Salomon.
Salomon lui plait. Salomon parle bien, le soir autour du feu. Il l’observe aussi, il lui sourit. La cherche du regard. Elle n’arrive pas à savoir si elle lui plait en tant qu’homme, s’il est familier de cette pratique, ou s’il devine son véritable état. Il lui parait apercevoir dans son regard une étincelle de complicité, comme un signal disant « je sais qui tu es mais tu peux me faire confiance ». Et Salomon, quand il parle, tient un discours étonnant sur les rapports entre les hommes et les femmes, et la regarde comme pour recueillir son assentiment. 
Elle parle très peu et avec prudence, de peur de se trahir si elle se laisse emporter par sa fougue, et se contente de hocher la tête, ce qui semble suffire à le réjouir.
 
Salomon est grand, ses épaules sont larges et elle a souvent frémi à imaginer ses grandes mains sur son corps. Posées de part et d’autre de son visage pour le lever vers lui et embrasser sa bouche. Elle n’a jamais été embrassée et rêve des lèvres de Salomon caressant les siennes, de sa langue entre ses lèvres.
Elle rêve de ses longs doigts aux poils cuivrés, s’attardant sur ses petits seins débarrassés du bandage qui les comprime, parcourant délicatement les marques rouges et enflées qu’il laisse sur sa peau, transformant en plaisir la sensibilité de sa peau à cet endroit.
De ses lèvres sur sa peau et entre ses cuisses. Elle imagine le plaisir que sa bouche, que sa langue, que ses doigts pourraient lui procurer à l’orée de son sexe. Son souffle sur sa peau, sa voix à son oreille. Il lui parlerait, elle aimerait qu’il lui parle, qu’il lui dise ce qu’il aime en elle, qu’il lui apprenne les noms de ces parties d’elle qu’on ne lui a jamais appris à nommer, jamais appris à aimer. Elle pense qu’il sait sûrement tout du corps d’une femme et qu’avec lui elle pourrait tout découvrir du corps d’un homme. 
Elle pense que son sexe se glisserait si aisément au creux de son corps pour lui faire découvrir enfin ce plaisir-là. Et au creux de ses reins, pour découvrir aussi cet autre plaisir ?
Il n’aurait qu’à la regarder pour que tout s’ouvre entre ses jambes, se prépare à l’accueillir en elle, pour qu’elle brûle de le prendre en elle, de le garder et de le regarder la prendre. Elle veut que son liquide blanc coule en elle, sur elle, elle veut le sentir et le goûter.  
Il lui semble qu’on peut éprouver tant de plaisir avec une personne qu’on veut non pas prendre de force mais découvrir, explorer, partager, goûter.
Sa bouche. Voilà un autre orifice auquel elle n’avait jamais songé auparavant : le sexe de Salomon, elle veut le prendre dans sa bouche. S’approcher de lui pour le regarder, de très près, le toucher avec ses doigts, le saisir dans ses mains comme Joseph faisait avec le sien, le sentir et le lécher, le parcourir de sa langue, découvrir son goût, l’enfoncer dans sa bouche, le poser sur ses lèvres pour le caresser tout doucement, l’effleurer. Regarder ses yeux la regarder pendant qu’elle serait à ses pieds, son sexe dans la bouche, sentir ses grandes mains saisir ses cheveux pour imprimer le mouvement de va et vient qui le conduirait au plaisir, sentir son grand corps tressaillir et se plaquer contre son visage, jouir de son liquide coulant dans sa gorge ou asperger son visage ou ses seins.
Tant de variantes lui semblent possible quand on est deux à en avoir envie, par rapport au pauvre spasme minable qui a secoué Jacob avant qu’il la lâche enfin !

Elle rit, libérée de cette emprise.
Jacob ne lui a rien pris, rien enlevé, il n’a surtout rien compris.
Tant d’autres richesses l’attendent dans cette vie.

A l’autre bout du campement, elle aperçoit Salomon qui vient à sa rencontre, de son pas souple et décidé. A la lueur du jour naissant elle distingue un sourire sur son visage, même ses yeux lui sourient.
Ils brillent plus que l’étoile. 

Commentaires

  1. J'adore. Comme toujours, Madame, c'est une grande leçon que vous m'apprenez-là. N'arrête jamais d'écrire. Promets-le.

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  2. C'est vraiment superbe, merci!

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  3. Merci merci j’aime tellement qu’on aime ce que j’écris !

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