Sodomie : le seul mâle entendu ?

Dernièrement un ami partageait sur FB un article de Psychologies.fr titré « Pourquoi les hommes aiment la sodomie ».

Dans cet article de 2017, des hommes expliquent ce qu’ils aiment dans cette pratique… et c’est là qu’on tombe de l’armoire devant l’ampleur du malentendu.

Pour l’un, qui constate que « c’est un peu pénible pour la femme », « le fait qu’elle l’accepte est sans doute plus excitant que la chose elle-même ». « C’est un cadeau que fait la femme, la preuve qu’elle a vraiment envie de se donner ».

Un autre a la sensation « qu’une femme se donne davantage de cette manière-là, surtout quand elle est d’abord réticente » Il aime « faire en sorte que le désir soit si fort qu’elle en oublie la douleur ».

Pour un autre, c’est la réticence de la femme qui est importante à ses yeux. Ce qui le fascine c’est le « non, non, non qui se transforme en oui, oui, oui »

« Une femme qui se laisse sodomiser est capable de se donner au-delà d’elle-même » affirme un autre amateur. L’espoir viendrait-il des jeunes ? Benjamin, 21 ans, souligne enfin « quelque chose de plus fusionnel, de plus intime qui s’instaure entre la fille et vous » et qui nécessite une certaine complicité. Ouf…

Atterrée par les clichés de genre véhiculés par ces témoignages (sérieusement, est-ce qu’on pourrait arrêter cinq minutes avec le concept de « la femme qui se donne » ?), en vain ai-je cherché dans le magazine un article se penchant sur le point de vue des femmes face à cette pratique. Cette fameuse réticence initiale qui fait apparemment tout le sel de la pratique pour ces messieurs, que reflète-t-elle ? Est-elle si partagée ? D’où vient-elle ?

Las, pas de témoignages de femmes, mais le docte avis d’une psychanalyste et sexothérapeute, Catherine Blanc. Et là ça pique encore les yeux : la femme serait réticente parce qu’elle peut « y entendre une négation de ce qu’elle est, le vagin rendant compte de la spécificité féminine » ou bien à cause de l’inquiétude « est-il homosexuel » puisqu’il ne lui apporte « rien de ce qu’elle attend en priorité »… cette priorité renvoyant à la nécessité pour elle de se faire féconder…

Cet article m’a rappelé une anecdote rapportée par une amie.

Alors qu’elle évoquait un jour la pratique de la sodomie avec sa voisine, celle-ci lui a répondu :

« alors moi c’est très simple, c’est une paire de chaussures »…

Et développa :

« oui, quand j’accepte qu’il me sodomise, il m’offre une paire de chaussures ».

Et de lui dévoiler son dressing, saturé de chaussures du sol au plafond…

Cette histoire pose deux questions :

-                Si elle aime ça, pourquoi se fait-elle payer ?

-                Si elle n’aime pas ça, pourquoi le fait-elle ? Par amour ? De son mari ? Des chaussures ?

Comme le contenu de l’article, cette anecdote illustre la dichotomie culturelle instaurée entre les hommes et les femme à propos de la sodomie en particulier et de la sexualité en général. Les hommes aiment ça, les femmes s’y prêtent par amour ou par calcul.

Postulat N°1 : Les hommes aiment ça, les femmes non.

On a longtemps tenté de nous le faire croire pour le sexe en général, on l’entend maintenant beaucoup pour la sodomie.

La sodomie serait un fantasme d’homme, peu partagé par les femmes.

Déjà, est-ce vrai ?

Un article de aufeminin.com, balance un chiffre non sourcé de 25% des femmes qui se seraient essayé à la sodomie, 10% seulement d’entre elles ayant aimé.

10% de 25%, ça fait peu, en effet.

La pratique serait donc peu répandue, et peu appréciée. Soit.

Mais qu’en est-il du fantasme ?

Car les articles et modes d’emploi fleurissent sur le net et même les forums catholiques débattent de l’avis de Dieu sur le sujet : c’est dire si la curiosité est vive !

Si vraiment on creuse les fantasmes féminins, est-on bien sûr que la sodomie n’en fait pas partie ?

Ensuite, en admettant que ce soit vrai et qu’une majorité de femmes soient réticentes, pourquoi le sont-elles ? Pourquoi une pratique prisée par un sexe le serait-elle tellement moins par l’autre ? Quels sont les freins spécifiques aux femmes ? La sodomie pose des interdits pour l’homme comme pour la femme : pourquoi l’homme les lève-t-il plus facilement que la femme ? 

Les freins concernant la sodomie sont nombreux :

-                Le tabou religieux ou moral porteur d’une sexualité envisagée exclusivement sous l’angle de la procréation. Ce tabou est aujourd’hui archaïque, la contraception ayant déconnecté la sexualité de la procréation. 

Cet interdit symbolique est-il cependant resté ancré dans l’inconscient des femmes, comme semble le dire la psychanalyste ? Cela impliquerait que le sexe sous contraceptif, la fellation, le cunnilingus et le sexe après ménopause seraient frappés chez elles du même interdit …

Peu convaincant.

-                Le tabou de l’homosexualité, là encore soulevé par la psychanalyste.

Mais pourquoi freinerait-il les femmes plus que les hommes ? Peu d’homme se sentent menacés dans leur virilité par la sodomie, du moment que ce sont eux qui l’exercent sur une femme… quant à leur propre anus, on pourrait en reparler ;-)))…

-                Le frein physiologique. Les muscles de cette partie du corps sont programmés pour expulser, n’est-il pas dangereux de les contrarier ? Cela n’a-t-il pas de conséquences, à terme, en matière de contrôle des sphincters ? C’est une préoccupation chez certaines, et le risque est réel, mais seulement dans le cas d’une pratique brutale et quotidienne dont personne n’a envie…
Si la totalité des homosexuels étaient incontinents, ça se saurait, non ? 

-                Le frein hygiénique. La fonction primaire de l’anus effraie. Sur le principe, mais aussi sur les risques d’accident rappelant cette fonction. Tacher les draps, laisser des traces terrifie les femmes. Les hommes parviennent assez facilement à surmonter cette crainte (beaucoup plus que celle des règles, ce qui est d’ailleurs assez cocasse), les femmes beaucoup moins. Pourquoi ? 
Si l’incident se produit, c’est la femme la plus gênée. Elle a honte, elle se sent humiliée, comme si elle était responsable, comme si elle avait failli. Parfois même, l’homme se permet de faire le dégoûté : un comble lorsqu’il était demandeur !
Les sites internet regorgent d’astuces et de conseils pratiques à destination des femmes pour prévenir tout incident, les incitant à se récurer en profondeur, sans préciser que les lavements à répétition irritent le côlon et sont dangereux à terme.
S’ils l’affectionnent, les hommes doivent assumer les risques de cette pratique et rassurer les femmes. Une femme en confiance avec un partenaire pour qui une tache n’est pas la fin du monde sera moins stressée et pourra se concentrer sur ses sensations.

Postulat N°2 : la douleur se transforme en plaisir

La peur de la douleur n’est pas un tabou mais un enjeu réel, ressenti par les seules femmes.

La légende urbaine pour amants paresseux, qui veut que la douleur éprouvée par la femme à la pénétration se transforme en plaisir n’est pas pour rien dans cette peur.

On leur promet de la douleur, on peut comprendre qu’elles en aient peur. 

Or la douleur de la pénétration anale n’est pas un mythe et la sodomie peut être douloureuse pour plusieurs raisons :

-                parce que l’anus n’est pas assez ouvert, soit que le désir de la femme ne soit pas assez fort, soit que l’homme n’ait pas assez pris le temps de le détendre et de l’ouvrir par ses caresses, soit que la femme ait peur car elle n’est pas en confiance avec son partenaire

-                parce que l’homme va trop vite, trop loin, trop fort, sans écouter les réactions de sa partenaire

-                parce que l’homme n’a pas utilisé assez de lubrifiant.

Mais si l’homme est patient, doux, à l’écoute, qu’il sait mettre en confiance sa partenaire, qu’il progresse très lentement en écoutant ses réactions, qu’il sait s’arrêter voire renoncer si décidément ça ne va pas, alors la douleur est hors sujet.

Bref, si ça fait mal, c’est que c’est mal fait. Point.

On constatera au passage que si la peur d’avoir mal est un frein majeur chez les femmes, la peur de faire mal semble ne pas exister chez les hommes…

De fait, les hommes qui évoquent dans cet article la réticence des femmes ne s’interrogent aucunement sur les causes de cette réticence.
La peur de la douleur est d’autant plus compréhensible chez la femme qu’elle semble peu prise en compte par l’homme. Quand on voit le sketch de Blanche Gardin sur la sodomie, on commence par rire, parce qu’elle le raconte très drôlement. Avec son style inimitable elle relate comment un amant, alors qu’elle avait 16 ans, l’a sodomisée sans sommation ni précaution. On s’arrête de rire très vite car ce qu’elle raconte si drôlement, c’est un viol douloureux et traumatisant, où l’auteur semble n’avoir eu aucune conscience de la violence de son acte.  

La douleur est peu prise au sérieux par les hommes amateurs de sodomie, comme si elle n’existait pas, ou n’était que passagère. Le mythe si commode de « la douleur qui se transforme en plaisir » leur permet de s’en dédouaner à moindre frais.

Ainsi la douleur et la peur perdurent et tiennent les femmes éloignées de la sodomie désirée. 

Postulat N°3 : la sodomie ne procure pas de plaisir aux femmes

Une fois les tabous et les freins levés, reste le désir.

Tout désir est lié à une promesse de plaisir. Comment désirer ce qui n’est pas censé vous procurer du plaisir ?

Or on entend souvent que l’orgasme anal n’existe pas pour les femmes car elles n’ont pas de prostate. Qu’elles pratiquent la sodomie pour le seul plaisir oblatif du « don de soi ». Le plaisir procuré à l’homme serait ainsi la seule récompense de cette sublime abnégation… Smiley consterné...

Le plaisir anal existe, et nombreuses l’ont rencontré. Les femmes qui aiment la sodomie et la pratiquent volontiers ne le font pas pour faire plaisir à leur homme, mais pour partager un plaisir d’une intensité toute particulière.

C’est une zone très irriguée, très innervée, qui peut donc être très sensible aux stimulations. Sa pénétration, quand elle est bien menée, donc sans douleur, procure un plaisir très profond, très animal, quasi-reptilien et assez différent des orgasmes clitoridien et vaginal. Plus localisé que cérébral, ce plaisir est aussi lié à l’étroitesse de l’orifice qui permet de ressentir davantage les palpitations du sexe masculin.

Non, la sodomie n’est pas forcément un plaisir transgressif, arraché de haute lutte par des hommes persuasifs à des femmes réticentes.
Elle peut être un moment de complicité absolue, d’échange et d’écoute aboutissant à un orgasme partagé et puissant…

Mais si l’on se réfère aux hommes interrogés dans l’article de Psychologies, on pourrait presque se poser la question : si les femmes se mettent à aimer la sodomie, s’ils n’ont plus à batailler pour l’obtenir, l’aimeront-ils toujours autant ?
Quels hommes sont capables d’aimer cela non plus pour la joie de la conquête mais pour celle du partage ?

Quels hommes sont capables d’y renoncer si le plaisir n’est pas partagé ?

Ceux qui aiment vraiment les femmes.

Ceux qui me liront, j’espère.

(photo Alain Massa)

http://www.psychologies.com/Couple/Sexualite/Pratiques-sexuelles/Articles-et-Dossiers/Pourquoi-les-hommes-aiment-la-sodomie

https://www.aufeminin.com/faire-l-amour/la-sodomie-s638560.html

https://www.dailymotion.com/video/x6l6wjr
( sketch à voir en entier pour prendre la pleine mesure de la violence de la scène. Quand l’homme la récupère sur le plancher, et recommence)

https://www.femina.fr/article/tout-savoir-sur-la-sodomie