Compte Polisson




Inutile de me balancer à Bescherelle ta mère, je parle bien d’un compte, comme dans compte Facebook. Tu sais, celui que tu crées quand, à force de liker et de commenter les posts de Maïa Mazaurette sur la sodomie, ceux de Aurore Baie sur la fellation et les compte-rendus de Philippe Hicks sur les dernières soirées BDSM, tu constates que tes neveux adolescents commencent à te regarder bizarre et ta belle-sœur à s’inquiéter pour le salut de ton âme. Oui, celui-là. Celui avec un pseudo, relié à une adresse mail spécifique (non, pas ton adresse pro) et un mot de passe tellement crypté que tu t’en rappelles pas une fois sur deux.

J’ai donc créé un compte sur lequel je peux partager, liker et commenter quasi incognito… et même publier mes propres écrits. Les nouvelles érotiques que je m’amuse à écrire en mêlant fantasme et réalité, les articles sur mes rencontres en ligne, même des photos de nus… bref tous les trucs que ma famille catho, mon ex-mari et mes amis BCBG ne sont pas censés lire.
J’ai sollicité tous mes amis « libérés » pour leur faire connaître mon nouveau compte, et tous ces amis virtuels avec qui je partage un vif intérêt pour le sexe et la littérature, notamment les participants du Prix de la Nouvelle Erotique. Et puis le cercle s’étend, amis d’amis réels, amis d’amis virtuels… Tous les jours de nouvelles demandes, trop sympa. Je me sens trop populaire, j’accepte tout le monde. Bah oui, je voudrais que mes textes soient lus et partagés par un max de monde, c’est humain.
Et puis ça devient un peu chelou tout de même. 45 demandes d’ajout par jour. De parfaits inconnus. Des hommes, principalement. Même pas un ami commun, ou alors des amis virtuels professionnels de la vaste sphère érotique, qui ont 500 amis parce que c’est leur boulot.
Accompagnées de messages genre « sa va », « salut », « trop bonne »… Voire des photos. Le genre de photos non sollicitées que certains hommes adorent tellement envoyer que le phénomène a désormais un nom et que 35% des internautes femelles en ont déjà reçu : des dick pik. Des photos de leur bite, en clair. La version 2.0 de l’exhib en imper de notre enfance. J’aimerais bien comprendre ce qu’un homme attend en faisant ça. Que je lui réponde « elle est trop belle ta bite, tu me l’amènes pour dîner » ??? Le sens de la démarche m’échappe. Entendons-nous : j’ai rien contre une photo du sexe qui a mes faveurs du moment, mais d’une part j’aime mieux lui avoir été présentée d’abord, d’autre part si je la veux en photo je suis assez grande pour la demander, et pour finir si je peux choisir le moment de la recevoir, je préfère (par exemple pas quand mon fils joue à candy cruch sur mon téléphone).

Bon, après c’est de ma faute aussi, paraît-il : j’ai mis ma photo dans mon profil public !  Parce que je l’aime bien cette photo, avec mes boots préférées et mon air conquérant. Et puis, ça va, je l’assume mon statut de fille libérée, je ne veux pas non plus me cacher derrière mon petit doigt.
Erreur de débutante, cependant… Sans photo il apparaît que la machine à fantasme des indésirables s’emballe un poil moins, ces messieurs ont sûrement trop peur de faire sans le savoir des avances à une moche. Monde cruel…

J’ai enlevé ma photo. Mis à la place une sculpture de Rodin en photo de profil, le cloître de Santa Chiara di Napoli en couverture, genre, « je parle le sexe mais j’ai des références culturelles, on n’est pas des sauvages ». C’est globalement le profil des amis de cette sphère : sapiosexuels. Obsédés, certes, mais raffinés, cultivés, esthètes et maîtrisant la langue française. Comment ça, je suis snob ?
J’avoue, c’est pas faux. Mais que celui qui n’a jamais grinçé des dents devant une grosse faute de syntaxe me jette la première pierre.

Sinon, depuis que j’ai ouvert ce compte, j’ai découvert un monde polisson incroyable de variété. En suivant les liens et les partages j’en apprends tous les jours sur des paraphilies dont je ne soupçonnais ni l’existence ni le nom. Chacune a son petit nom, la langue française est d’une richesse invraisemblable. J’apprends ainsi le sens des mots candaulisme, forniphilie, trampling, kinky… Chacune a sa chapelle, ses théoriciens, son jargon, ses lieux de débauche favoris. Certains mondes s’interpénètrent (…) et se retrouvent lors de soirées Parisiennes incontournables, d’autres campent sur leurs positions respectives, parfois nées d’un schisme idéologique genre Congrès de Tours SFIO/PC.

J’apprends les différences entre les libertins et les polyamoureux, les libertins Cap d’Adge et  les libertins textiles, les polyamoureux « kitchen table » et les polyamoureux « parallèle ».
Les Soum, les Dom, les Switch, les Souminatrices... Les couples S/M qui sexent et ceux qui ne sexent pas. Ceux qui partagent et ceux qui ne partagent pas leur soumis.e, ceux qui épousent et ceux qui collectionnent .
Les maîtres shibari qui prônent une vision artistique et asexuée de leur art, et ceux qui ne dédaignent pas un peu de fun après déposition du corps…

J’apprends aussi que ce petit monde que j’imaginais forcément tolérant ne l’est pas toujours.

Il y le consensus : globalement on est LGBT-friendly, on lutte contre la grosso-phobie et la culture du viol et on est volontiers féministe…
Mais si l’on creuse il apparaît vite que certains clichés des rapports hommes-femmes perdurent, et que le respect du consentement peut être à géométrie variable, même dans le milieu BDSM pourtant réputé à cheval sur la question.
Il y a aussi les querelles de chapelles et la morale qui va avec. Si, si, la morale ! Ça surprend, mais chaque chapelle a son code de conduite.
Par exemple, la base du polyamour, c’est certes la liberté mais aussi la transparence.
Celle du libertinage aussi. La vérité étant érigée en dogme, les deux chapelles conspuent donc l’adultère. J’ai ainsi lu des posts de libertins lapidant une malheureuse femme volage avec une virulence qui ferait passer la Charia pour libertaire…
Comme quoi Libertin ou Libéré n’est pas toujours synonyme de Liberté.
Certains posts donnent ainsi lieu à des pugilats virtuels au fil des 360 commentaires, avec échange de noms d’oiseaux, insultes personnelles puis évictions mutuelles en mode « je te vire de mes amis » /« non c’est moi qui te vire ».   
On voit aussi s’affronter différentes visions du féminisme : certaines se revendiquent pro-sexe et dénoncent une dérive puritaine, d’autres luttent contre la prostitution ou l’épilation comme expression de la domination masculine, le mouvement #metoo et la lutte contre le harcèlement de rue divisent tant sur les causes que sur les moyens. Quant à l’écriture inclusive elle divise les pro au nom d’un féminisme du quotidien et les contre au nom de l’amour de la langue française ou du confort de lecture…

Les polyamoureux trouvent les libertins trop sexe, les deux courants trouvent les adultères trop hypocrites, les libertins Cap d’Adge trouvent les textiles trop coincés, les BDSM trouvent les Vanille trop ennuyeux…les Vanille libertins trouvent les BDSM trop déviants. Et les religieux mettent tout le monde dans le même filet de pécheurs.   

Finalement on est toujours le déviant de quelqu’un.

Quoi qu’il en soit tout le monde se retrouve sur la censure du puritain Facebook et ses blocages de compte : trucs et astuces pour déjouer les censeurs, cache-tétons, liens sur les blogs et comptes de secours... Tu crois que tu as 300 amis mais chacun ayant 3 comptes, ça ne fait plus que 100 personnes.
C’est pas avec ça que tes nouvelles deviendront virales…

Commentaires

  1. Comme je me retrouve dans votre observation de notre petit (?) monde de ... difficile de trouver l'expression qui nous unirait tous... de personnes qui donnons à la sexualité à une place particulièrement importante, qu'elle soit génitale ou pas ! (bah, on trouvera bien des personnes pour dire que ce n'est pas encore ça)
    Je porte encore quelques stigmates de mon combat «pro-adultérin» (je caricature à dessein ma position) – car moi aussi j'avais ma chapelle à défendre – et j'ai été surpris, même choqué, par la violence qu'ont déclenchée mes propos de la part de personnes que j'imaginais plus tolérants, depuis je préfère jouer profil bas pour rester ami, ne serait-ce qu'en apparence, avec des gens que j'ai envie d'aimer (drôle de choix, non ?).

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    1. Je n'arrive pas à vous répondre depuis mon compte Ludivine... bref, passons. Merci de votre commentaire. J'avais titré au départ "voyage au pays des sex-fans"... C'est certes un peu réducteur comme expression. Si l'on tentait une définition : "personne pour qui la sexualité tient une place importante, tant dans sa vie que dans ses réflexions " ? On parle aussi de pro-sexe, mais l'expression semble irrémédiablement accolée à féministe... Si ça vous chante, retrouvez-moi et d'autres petits camarades sur Facebook : compte Ludivine de La Plume.

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    2. Les sexigeants ? (is the new attachiante ?!)
      Je vous retrouverai juste ici, si vous le voulez bien, ou peut-être sur d'autres réseaux, mais pas facebook. Je n'y ai pas de compte et je n'ai aucune intention d'en ouvrir.

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    3. Sexigeants, c'est pas mal. Quant à attachiante c'est à bannir à tout jamais, insupportable cette manie de certaines à confondre "avoir du caractère" avec "faire chier le monde en général et son mec en particulier" !!

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