Cris et chuchotements (Bibliophilie, chapitre trois) - Nouvelle méchamment érotique





Le canapé, encore. En face, la bibliothèque.
Dorénavant ses souvenirs de lui seront toujours attachés à l’image de ces livres alignés, leur organisation aléatoire, verticaux, horizontaux, penchés… surmontés de piles à l’équilibre instable … Son sens de l’ordre en est perturbé : chez elle les livres sont classés par collection et par taille, soigneusement alignés en rangées régulières : les Gallimard, les Seuil, les Rivages, les Poche... Les regarder l’apaise.
Vierge ascendant Vierge. Vierge sage, souvent.

Vierge folle maintenant. En goûtant son champagne elle raconte à son amant son après-midi de découverte, née de sa curiosité pour un univers fantasmatique nourri par ses lectures, d’Histoire d’O à Semita Voluptatis en passant par des blogs et témoignages…

Elle a conservé la même tenue que l’après-midi, pour lui offrir un aperçu du spectacle qu’elle a pu donner. Sauf la culotte. Elle a dû en changer…

En choisissant ses vêtements pour cette après-midi d’initiation, elle savait qu’elle contrevenait au dress-code indiqué par les organisateurs. Ni vinyl, ni latex pour elle, qui jugeait ces matières inesthétiques. Seule concession : le cuir du perfecto noir qui complétait sa jupe droite. Taille haute, très moulante, celle-ci ne laissait aucune courbe à l’imagination. Fendue si haut qu’on apercevait la lisière de ses bas et même l’attache de son porte-jarretelles. Mais qu’elle pouvait fermer jusqu’en bas d’un coup de fermeture éclair pour redevenir une executive woman un brin austère.
Elle adorait cette jupe : de vierge sage à vierge folle, en un éclair.

Premier coup d’œil soupçonneux de l’assistance quand elle était arrivée dans le salon tandis que l’hôtesse des lieux expliquait les règles et les consignes. Qui est cette femme qui ne respecte pas le dress-code en vigueur ? Elle s’était accoudée dos au bar, souriante, secrètement intimidée mais provocante dans son assurance feinte.
Deuxième coup d’œil intéressé sur ses cuisses et ses bas.
Troisième coup d’œil quand elle enleva son perfecto, dévoilant son chemisier : lavallière nouée haut autour du cou… mais mousseline transparente, laissant voir un savant entrelacs de satin noir, croisé sur les seins nus, sur le ventre, dans le dos. 
Dress-code : peu importe la lettre pourvu qu’on ait l’esprit. Et si l’esprit était d’être sexy, mission accomplie.

Un compagnon la guidait et l’intronisait dans ce milieu volontiers prosélyte mais néanmoins méfiant. Nulle vraie appréhension ne l’habitait cependant, sinon celle de l’inconnu : elle savait combien le cadre et les participants rendraient l’expérience sûre, elle avait confiance en son compagnon. Rien ne lui serait imposé, elle pourrait arrêter à tout instant, elle pourrait même ne rien faire et se contenter d’observer…
Mais elle se savait bien trop curieuse pour s’en tenir à l’observation : Vierge folle était de sortie, s’exhiber était son péché mignon, quant à tester les instruments et installations, n’était-elle pas là pour ça, justement ?
Le briefing fini, chacun fut laissé libre d’explorer les lieux à sa guise. Son compagnon lui-même fut peut-être surpris de la voir s’installer sans plus de cérémonie sur la balançoire en cuir noir, suspendue au plafond par des chaînes et munie de 4 attaches pour les chevilles et les poignets. Celles-ci la maintenaient allongée, bras levés et jambes écartées, offerte à qui voulait voir ce que ne cachait plus sa jupe assez fendue pour s’adapter à l’écartement requis. L’impudeur de cette position lui donna aussitôt des frissons et le lent balancement stimula son imagination. Mon Dieu qu’elle aimait ça !
Mais ce n’était qu’un test, elle voulait voir le reste.

Et ainsi elle alla, de salle en salle, avec son compagnon qui la suivait parfois plus qu’il ne la guidait. Et ainsi elle goûta : la roue, la croix de Saint-André, les entraves de toutes sortes, le martinet, la cravache, le paddle, les claques, les caresses à quatre mains, les douces tortures des seins… Elle gémit, elle mordit, elle rugit, sous la double excitation de l’exhibition et de la contrainte. Attachée face à la roue par les poignets et les chevilles, elle cambra ses reins pour mieux offrir ses fesses aux morsures du martinet administré à quatre mains, tressaillant à chaque coup, attendant le suivant, sa peau chauffant et rougissant sous sa jupe. Délicieuse torture, qu’elle savait bien douce au regard des sévices infligés par d’autres dominants à des soumis plus aguerris qu’elle. Elle était une débutante, une petite joueuse… et elle le resterait : ce degré de douleur lui suffisait amplement.      
Chaque regard l’aiguillonnait, chaque entrave l’excitait, la cyprine coulait, son regard brillait. Autour, chacun vaquait à ses occupations, les coups pleuvaient fort sur des fesses rebondies, des cuisses et des seins rougis par les impacts. Un homme au masque de loup caressait puis frappait de son martinet une femme aux yeux bandés, chaque mouvement dessiné dans une même lente et harmonieuse chorégraphie. Une femme en robe de cuir fouettait avec concentration un homme vêtu de latex (ce dress- code, décidément…) Plus loin un homme suspendait une femme dans un entrelacs de cordes aux motifs complexes et magnifiques, chaque geste étudié, chaque nœud soulignant la blancheur de la chair nue et marquant les reliefs. Le résultat était sublime, la chevelure répandue, le corps contraint mais cependant abandonné dans une posture de lâcher-prise absolu. Ce spectacle la fascina : une autre expérience à venir, espérait-elle.

Le retour sur la balançoire marqua l’apothéose. Elle enleva jupe et chemisier, ne gardant que ses bas et son entrelacs de lacets de satin qui dessinait ses seins et soulignait ses reins. Son compagnon usa de la bougie, qu’il fit goutter sur son corps, lentement et savamment, en une torture follement délicieuse : la brûlure était ténue et de courte durée, juste assez pour frémir, pas assez pour souffrir plus de quelques secondes, juste assez pour se tendre dans l’attente de la goutte suivante, pas assez pour la redouter vraiment. Les seins, les cuisses, le ventre, le sexe même : avec un art consommé et une lenteur infinie il parsemait son corps de gouttes de cire rouge comme le sang, elle grondait, elle râlait, se cabrait, se cambrait dans ses liens, ouverte, offerte tant à la cire qu’aux regards d’autres hommes attirés par ses cris. Ils étaient là, silencieux, de noir vêtus, concentrés, les yeux brillants, regardant son corps se tordre et son sexe s’ouvrir, sa fontaine jaillir sous l’effet du plaisir. Elle leur rendait leurs regards comme pour les accepter, puis fermait les yeux pour mieux les savourer. Leurs regards, leur convoitise sublimaient son plaisir et son orgasme fut total et magistral.

Redescendre sur terre et retirer la cire qui parsemait son corps ne fut pas chose aisée…
mais un dernier frisson lui fut offert par un grand américain amateur de knife-play, qui détacha délicatement chaque goutte rouge sang de la pointe d’un couteau assez grand pour éventrer un veau…

Et maintenant…elle raconte, pelotonnée sur le canapé, ses hauts talons abandonnés, savourant les bulles de champagne et les étincelles que son récit allume dans les yeux de son amant. Précise, mordante, elle décrit les situations, détaille les sensations, décortique les émotions, n’omettant rien, n’occultant rien.

Elle livre sa conclusion personnelle à l’issue de cette expérience : elle aime le jeu, le frisson, la douleur contrôlée, la contrainte, l’exposition. Mais ne partage décidément pas la mystique qui semble sous-tendre la relation Dominant/Soumis : l’abnégation qu’elle suppose, le rapport à l’humiliation et la douleur qu’elle inclut, le degré d’emprise qu’elle entraîne.
Le Maître éduque, corrige, soigne et console après la douleur.
Le Soumis s’offre, offre sa douleur, son abnégation, se dépasse pour son Maître, puis se blottit à ses pieds pour être réconforté et félicité.
Le Maître contrôle tout. Le Soumis s’abandonne à ce contrôle dans une confiance absolue. L’emprise psychologique est au moins aussi forte que la contrainte physique : le Soumis proclame appartenir corps et âme à son Maître qui va parfois jusqu’à se définir comme son propriétaire.

L’intensité de la douleur que certains soumis peuvent accepter la glace également : elle a vu des soins administrés sur des plaies sérieuses, des dos zébrés par des marques durables, des cicatrices témoignant des confins où cette quête peut mener. 
Elle ne doute pas du plaisir ressenti par les adeptes de cette douleur, de leur liberté de l’accepter, elle reconnaît le grand respect de l’autre et de son consentement qui règne dans cet univers. Elle a lu la symbiose qui peut naître de telles relations, la puissance de l’amour qui peut parfois unir ces couples complémentaires dans leurs aspirations.  
Simplement ce n’est pas pour elle. Trop rebelle à toute forme d’emprise. Petite joueuse elle est, petite joueuse elle restera.

 Il écoute, troublé par ses mots, épaté par sa curiosité, par sa franchise, excité par son absence totale de gêne à se livrer ainsi. Son récit le rend fou, sa précision a fait naître dans son esprit des images redoutables de son petit corps si fin se tordant dans les chaînes, sous les coups et les regards.

Mais il ne se précipitera pas. Il résistera au désir qui l’obsède. Il la dégustera avec lenteur, la caressera des heures, comme la dernière fois sur ce grand canapé. Il y a dix jours… déjà ? Il lui semble que c’était hier.
Cette fois ils ont toute la nuit, toute la nuit pour explorer ce qu’ils ont éveillé la première fois, pour donner libre cours à leur désir et à leur plaisir.

Et la nuit les emmène au-delà de ses promesses.  
Une nuit de connexion des peaux au-delà du réel. La fièvre furieuse de leur envie incessante, de leur désir sans cesse réveillé, de leurs corps s’appelant sans fin, encore et encore et jusqu’à l’épuisement.
Une nuit de plaisir fou, sauvage, animal. Le plaisir coulant dans leurs veines. Résonnant dans leurs muscles. Les corps imbriqués, incapables de se déprendre. Les sens qui explosent de toutes parts.
 
Leur plaisir égal quand il la baise avec ses mains. Si fort, si loin. Si bien. Son rugissement de jubilation en constatant l’effet qu’il lui fait.
La sensation inouïe et toujours renouvelée quand leurs sexes se touchent. Comme un soulagement intense, comme si à cet instant précis ils n’attendaient rien d’autre de la vie. Cet instant suspendu, cette étincelle de magie pure, comme un choc électrique, comme s’ils se reconnaissaient, comme s’ils se retrouvaient après un long voyage. Aimantés. Liés. Arrimés.
Et puis cette infinie douceur de la pénétration, cette réponse à la faim, enfin, cette évidence, ce soupir de soulagement, cette sensation d’aboutissement.
Ce sentiment de plénitude absolue quand il vient tout au fond, le plaisir infini pour elle d’être comblée, pour lui de la posséder, mais tellement plus que cela.
Et puis les mouvements, les ruptures de rythme, les changements d’angle qui renouvellent le plaisir à chaque seconde.
Et cette envie Mon Dieu que ça s’arrête, parce que c’est si fort, parce que c’est si bon que c’en est insupportable.
Et cette envie Mon Dieu que ça ne s’arrête jamais, parce que c’est si fort, parce que c’est si bon que c’est inimaginable.
Et puis l’explosion. La déflagration. La délivrance, l’ivresse absolue, l’acmé, la folie, la puissance pure.
Leur rire de jubilation intense devant l’immensité de ce plaisir, leur incrédulité en constatant que leur désir n’est toujours pas assouvi. Cette sensation d’exaltation et d’inachevé qui les laissera dans un état d’envie intacte, à peine assouvie par la sauvagerie de la nuit.
Une envie intacte et tendue jusqu’à la prochaine fois. Supplice délicieux que l’attente de cette prochaine fois.
 
La distance devient une alliée qui leur permettra de ne pas épuiser trop vite ce trésor.
Cette envie constante qui les habitera jusqu’à la prochaine fois.
L’envie de la toucher à nouveau. L’envie de plonger au plus profond, de posséder encore le temps d’une nuit ce corps qui le rend fou.
L’envie de le sentir à nouveau. L’envie de s’ouvrir au plus profond, d’aimer encore le temps d’une nuit ce corps qui la rend folle.

Attendre.
Désirer.
Fermer les yeux pour se rappeler.
Ecrire.    






Commentaires

  1. Subjugué par mes premières lectures, je dévore les suivantes...
    Une introduction dans le monde BDSM comme rarement lue : dévoiler ainsi ses sensations et émotions dans ces pratiques encore bien tabou malgré des romans adaptés au cinéma pour que le "grand public" puisse consommer encore plus facilement sans réflexion... mais je m'égare dans mes pensées alors que j'ai tellement apprécié vous lire sur le sujet même si je n'ai jamais été attiré par de telles pratiques qui m'effrayaient plus qu'elles ne m'excitaient.
    Vous avez su de votre belle plume me faire comprendre les plaisirs pris dans les pratiques BDSM avec leurs 50 nuances ;o)
    Merci à vous !
    Bien à vous,
    Alain

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  2. Merci Alain de vos mots qui me font grand plaisir; Je n'avais pas encore lu votre commentaire, preuve de mon manque d'assiduité sur ce blog ! Plein de textes en cours, pas un finalisé... je m'éparpille ! Suivez-moi sur FB, en accompagnant votre invitation d'un message personnalisé : vous serez ainsi informé de mes nouvelles publications. A bientôt !

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